Objectifs du thème 3 – Psycho-social
La recherche menée par le thème 3 dépasse la question de l’acceptabilité pour définir des conditions d’inscription urbaine des espaces souterrains, dans une optique d’aménagement durable et de qualité de vie souterraine. Dans ce but, la recherche développe une approche méthodologique de l’aménagement qui met sur un même plan et de manière conjointe, des dimensions ou des logiques généralement convoquées séparément : fonctionnement et organisation des espaces urbains ou des fonctions ; spécificité des modes d’être et des comportements dans des
espaces enterrés ; paramètres de confort et performances techniques. Les résultats élaborés auront la forme : de préconisations, en termes de confort et de qualités, des espaces enterrés et des dispositifs techniques ou architecturaux qui y sont développés ; d’outils d’aide à la programmation permettant une complémentarité d’usage et de fonctionnement entre espace souterrain et surface; d’outils d’aide à la décision et à la conception pour favoriser une transition à la durabilité de l’aménagement des villes en intégrant les espaces souterrains.
Perspective
Projet lauréat « Les dessous de la dame de fer»
Concours organisé par la Fondation de la société de la Tour Eiffel.
Architectes : Gilles Lefevre et Mathieu Badie
Résultats de la tranche 1
L’ensemble des recherches du thème « psycho–‐social » du Projet National Ville 10D propose un panorama large et varié des questions relatives à la perception de l’espace souterrain en relation à son aménagement. Les réflexions de la tranche 1 s’attachent aux modalités préalables pour aménager des sous–‐sols, intégrés au fonctionnement urbain, qui soient agréables à vivre. Il s’agit d’identifier leurs conditions d’habitabilité.
Il apparaît que les espaces souterrains sont des espaces très intériorisés dans lesquels les sensations et les perceptions sont exacerbées. Ces espaces déstabilisent et ne sont jamais neutres. Mais ce n’est pas seulement parce qu’ils évoquent la mort ou l’enfer, ni parce qu’ils sont aménagés de manières inconfortables. Il y a une complexité dans les environnements souterrains qui tient à la coexistence de situations ou de caractéristiques paradoxales. Celles-ci sont liées à la configuration des espaces et aux partis pris d’aménagement, mais aussi aux perceptions que l’on en a et aux représentations véhiculées. Les résultats des différentes actions de recherche peuvent être regroupés en deux volets principaux. L’un est plus orienté vers le ressenti et la compréhension des espaces, tandis que l’autre est plus centré sur l’organisation spatiale et urbaine.
- Du point de vue du ressenti et de la compréhension des espaces, la prégnance de l’imaginaire a traversé la plupart des actions de recherches. L’équipe de l’IRPhil (Institut de Recherche Philosophiques) de Lyon a montré la persistance de cet imaginaire au travers des caractéristiques principales associées aux souterrains (profondeur, clos, labyrinthe, relégation), qui sont aussi des caractéristiques ambivalentes (mort/renaissance ; enfermement/sécurité ; perte/exploration ; hiérarchie/subversion). Ces polarités contraires, fondatrices de notre rapport au monde, relativisent la vision négative des souterrains qu’un aménagement trop homogène et lisse tente de combattre. De fait, les conditionnements sensoriels faits pour sécuriser ces espaces, amoindrissent nos capacités d’imagination, pourtant partie prenante de l’appropriation. Le travail de l’équipe du Lacth (Laboratoire Architecture, Conception, Territoire, Histoire) de l’ENSA de Lille concerne également des apriori et des lieux communs au sujet de l’espace vécu. L’expérience immédiate a montré l’importance de dépasser le niveau familier de la vue pour interroger nos relations au monde construit à partir d’une mise en situation corporelle. Nous évaluons notre environnement en relation à ce qui s’y trouve et aux autres, et non seulement en fonction de critères de satisfaction ou de confort. Les espaces sont donc praticables parce que nous pouvons les pratiqués ; non parce qu’ils ont été conçus pour tel ou tel usage, ni parce que nous y ressentons du confort.
- Du point de vue de l’organisation et de l’agencement de l’espace, l’équipe Physique et Perception des Environnements de l’ENTPE Lyon fait le lien entre ressenti et agencement au travers des ambainces lumineuses. Des préconisations d’éclairage artificiel émergent de la part d’usagers (éviter les contrastes, éclairer les sols et les plafonds, baliser les cheminements). Pour autant, ce qui vient en premier c’est « amener de la lumière naturelle » alors que ces « clairières » créent des contrastes inconfortables qui perturbent l’orientation ! Des procédés simulent en virtuel un environnement en lumière naturelle, mais sans répondre à la nécessité physiologique d’exposition à la lumière naturelle. D’autres tentent de stimuler notre imaginaire avec des environnements « extraordinaires » à l’image de la station de métro Toledo à Naples, située à moins 37m.
Ces réflexions débouchent sur des pistes de réflexions et d’actions pour l’aménagement souterrain, mais elles ouvrent aussi à de nombreuses questions qui sont liées au caractère innovant de cette recherche, à la spécificité du terrain de La défense et de l’urbanisme de dalle.
Une attention aux dimensions immatérielles de l’espace souterrain
La perception des espaces souterrains et les sensations de confort ou d’inconfort ne sont pas seulement liées aux qualités physiques (luminosité, acoustique, thermique, ventilation) des environnements souterrains. La part de l’imaginaire, dans ses dimensions ontologiques et culturelles, est particulièrement présente et importante dans le vécu des univers souterrain. Cette dimension est à réintégrer dans la manière dont les sous‐sols sont aménagés : en réactivant sa connexion à la terre ; en permettant d’apprivoiser les angoisses de l’expérience du souterrain, aux polarités à la fois négatives et positives. Les clés d’activation de l’imaginaire rejoignent l’expérience des mises en situation corporelle. Les logiques de cheminement, les lieux de pause et les postures des personnes traduisent des capacités à s’adapter à des espaces inconfortables ou inadaptés, mais ils traduisent aussi la capacité des personnes à configurer l’espace en fonction de leurs désirs ou de leurs besoins. Comment intégrer ces dimensions symboliques et vécues dans l’aménagement urbain ordinaire, sans que cet aménagement soit de l’ordre du sacré, de l’action artistique ou du festif ? Cela incite à une programmation ouverte et non figée, qui envisage des lieux « sans » usage prédéterminé. Peut‐être sont‐ils encore plus nécessaires en souterrain ? Par contre, cela implique de prendre en charge, en amont, la spirale de dévalorisation socio‐spatiale induite par l’héritage d’une hiérarchie dessus/dessous que l’aménagement a reconduit et accentué.
Des dispositifs visant à améliorer le confort et l’accessibilité des sous-sols
L’aménagement souterrain est basé sur un manque, celui de la lumière naturelle nécessaire physiologiquement à l’Homme. Une solution simple consiste à multiplier les puits de lumière, en atténuant les contrastes. Mais, ces dispositifs tendent aussi à accentuer la segmentation horizontale des espaces et à compliquer les stratégies cognitives de navigation qui privilégient cette dimension horizontale. La conception et la localisation de ces « clairières » impliquent donc aussi une réflexion d’ensemble, en termes d’usages et de relations spatiales à l’échelle de la pratique de la ville. Il y a également des rapprochements à faire entre conception architecturale et éclairage, pour architecturer les espaces en combinant configuration géométrique et mise en lumière. Pour aider à la navigation dans les réseaux souterrains, il est préférable de favoriser le déplacement dans la dimension horizontale et de libérer les parcours de contraintes comme le font les couloirs. Il est également important de fixer un même cadre géométrique dans les différents étages, pour faciliter une représentation fiable et intuitive de l’espace. En revanche, il parait très difficile de maintenir le lien avec la surface, du fait d’une rupture géométrique trop radicale entre chaque espace. Ici, les logiques de déplacement, importantes dans la relation entre les espaces de La Défense, semblent entrer en conflit avec les temps d’arrêt et le séjour dans des espaces souterrains.
Des méthodologies d’action
L’organisation et le fonctionnement des sous-sols urbains, du moins à l’échelle d’un quartier comme La Défense, relèvent d’un croisement entre des modes de conception dérivés de l’architecture et de la composition urbaine. Cette nature spécifique des espaces souterrains, entre intériorité et extériorité, induit des principes de composition qui à la fois doivent permettre :
- des configurations spatiales présentant une stabilité (espaces d’ancrage) ou des géométries identifiables pouvant servir de repères ;
- des continuités spatiales basées sur des dynamiques de flux et des complémentarités d’occupation qui est plus temporelle que spatiale.
Intégrer la 3ème dimension de la ville, ouvre donc sur une 4ème dimension –celle de la succession temporelle des pratiques– qui montre que l’occupation des souterrains ne peut s’envisager qu’en termes de programmation de fonction ou d’offres de services. Il s’agit de permettre des pratiques combinant déplacement et pause, accès aux services et aux aménités urbaines (qui ne sont pas réductibles aux commerces) et complémentarités entre espaces privés et espaces publics, à l’image des POPS (espaces privés ouverts au public) new-yorkais. Effectivement, l’aménagement urbain intégré sol/sous–‐sol nécessite des accords et des régulations à trouver dans des partenariats. Il s’agit de construire un monde commun –surface/sous-sol– à partir de deux univers séparés ; cela veut dire identifier quel projet de ville intégrée sol/sous‐sol peuvent élaborer ensembles les différents acteurs.
Actions de la tranche 2
La deuxième tranche du thème 3 du Projet National Ville 10D va permettre de prolonger ces réflexions et d’explorer plus en avant les questionnements qui ont émergés. Par rapport aux résultats des recherches de la tranche 1, il apparaît important de conduire des investigations dans des espaces où les sensations de profondeur et d’enfermement sont plus importantes que dans le niveau sous dalle de La Défense, ainsi que dans des souterrains creusés. Nous envisageons, en fonction des possibilités d’accès, des expérimentations et/ou investigations dans les volumes non investis du quartier de La défense, dans des souterrains parisiens et dans des crayères rémoises. Nous envisageons également une recherche croisant les différentes approches. Ce croisement est essentiel. Il milite pour une forme à donner aux actions de recherche qui soit moins éclatée. Aussi, plutôt que d’élaborer un rapport pour chaque action de recherche, nous proposons la rédaction d’un rapport commun, dont le plan résultera du croisement et de la confrontation des résultats des différentes actions de recherche, y compris de leurs contradictions.
Les objectifs des recherches de cette deuxième tranche sont de trois ordres.
- Elles visent une avancée dans la connaissance du vécu dans des espaces souterrains, de leurs qualités sensorielles et des facteurs de perturbations et d’attirance. Cette connaissance sera traduite en outils graphiques et descriptifs dont le but est de rendre visible les dimensions immatérielles de ces espaces, d’informer les aménageurs et de permettre d’intégrer ces dimensions à la conception.
- Elles développent des tests et/ou des études proposant de nouveaux dispositifs d’agencement, d’éclairage et de plantation pour une amélioration du ressenti et du confort des usagers. Ces tests visent la production de stratégies d’éclairage adaptées pour des environnements souterrains types. Ils visent également la mise au point de solutions végétales attractives en milieux fermés.
- Elles proposent des méthodologies et/ou des outils visant à renouveler ou à adapter les modèles d’aménagement. Il s’agit de développer des outils de conception permettant à l’espace urbain d’investir les sous–‐sols, en tenant compte de la spécificité des environnements souterrains. Il s’agit également de donner des clés aux décideurs et aux futurs acteurs de la ville souterraine pour gérer des choix antagonistes ou confronter des synergies entre des acteurs publics et privés, mais aussi avec l’ensemble des acteurs impliqués dans des choix collectifs. Ces clés visent à savoir comment se construisent les préférences collectives ; c’est–‐a–‐dire, in fine, comment les individus s’approprient–‐ils, ou non, les stratégies de développement qui leur sont proposées ?
Trois actions de recherche sont prolongées et trois nouvelles sont engagées.
L’axe 1 « Transitions » poursuit la caractérisation des « formes urbaines » et des spatialités souterraines au travers des actions de recherche:
- 1.1 Morphologies des transitions : trame urbaine et paysage en souterrain
- 1.2 Expériences de la ville souterraine et des transitions : spatialités.
Il s’agira, pour la PN VILLE10D – VILLE D’IDEES d’identifier les rôles urbains potentiels des espaces souterrains, ainsi que les manières dont l’espace urbain peut investir les sous–‐sols et avec quels outils. Il s’agira, pour la seconde, d’enrichir les connaissances sur le vécu dans des espaces confinés, en fonction de typologies spatiales différentes, et d’identifier les modalités d’intégration des récits du vécu dans la conception des espaces.
Ces travaux s’articuleront autour d’une nouvelle action de recherche :
- 1.3 Représentations cartographiques du souterrain
qui visera la production d’outils cartographiques intégrant l’organisation et le vécu des espaces dans la cartographie urbaine.
L’axe 2 –A[e]ntre-ville – prolonge l’action de recherche « Explorer les qualités des ambiances lumineuses des espaces fermes » en s’intéressant à l’impact visuel de la lumière sur la perception de l’espace, au travers de l’analyse de différentes mises en lumière et de simulations d’éclairage, notamment basées sur les techniques de la mise en scène. Le travail sur la reconfiguration des ambiances lumineuses sera associé à une nouvelle action de recherche « Conception de solutions végétales innovantes dans un espace souterrain contraint » étudiant les possibilités de végétalisation des souterrains, ayant capacité à améliorer la perception des espaces et la qualité de l’air.
L’axe 3 –Cohabitations– va se centrer sur les conditions d’un aménagement intégré sol/sous-sol. L’action de recherche « Synergies, conflits et frictions liés aux amenagements » développera une analyse des règles d’arbitrages liés à l’aménagement souterrain, en tenant compte des antagonismes et des incompatibilités dans la mobilisation de ressources souterraines, ainsi que des choix résultant de la confrontation d’une myriade d’acteurs.